Fraichement élue présidente de l’URPS Orthophonistes d’Occitanie, Aurélie Iché est orthophoniste à Toulouse depuis 15 ans, vice-présidente chargée de la prévention au SOROcc (Syndicat des Orthophonistes de la Région Occitanie), membre de la CPTS Providence dans son quartier et fait partie de l’URPS depuis sa création. Elle nous raconte comment elle et sa profession ont vécu la période Covid.
Comment avez-vous traversé cette longue année de pandémie, en tant qu’orthophoniste ?
Au moment où nous avons été confinés, il y a eu d’abord 15 jours de flottement : on ne savait pas combien de temps ça durerait, on a fermé les cabinets – on n’avait pas de plan B. Au bout de 15 jours, on a eu la possibilité de faire du télé-soin, à l’appréciation de chacun. Il me semble que seuls 20% des orthophonistes l’ont fait. On n’avait pas la possibilité de pratiquer le télé-soin avec toutes les pathologies que l’on prend en charge. Par la suite, un premier décret nous a autorisés à pratiquer le télé-soin dans le cadre d’un certain nombre de pathologies, décret qui a été modifié au mois de mai 2020, et depuis, nous sommes autorisés à le pratiquer avec tout le monde. Ce changement a été légiféré, on a un acte de télé-soin depuis le 2 juin 2021. La Fédération Nationale des Orthophonistes (FNO) a mis en place un partenariat avec une plateforme pour nous permettre de pratiquer le télé-soin sans avoir à payer d’abonnement (ce qui pouvait être compliqué !) – cela a été gratuit pendant 3 mois, et dès juillet 2020, nous avons pu nous abonner pour continuer le télésoin si nous le souhaitions.
Pour ma part, j’ai fait beaucoup de télé-soin, j’ai passé quasiment tous mes patients en télé-soin. Donc j’ai travaillé pendant les deux mois « normalement » ; même si ce n’est pas la norme. Les autres orthophonistes faisaient une vingtaine d’actes par semaine, c’est la moyenne nationale. La mise en place du télé-soin n’a pas été très généralisée. Ce n’était pas par exemple évident pour les orthophonistes qui avaient des enfants à garder en même temps que leur activité professionnelle.
Nous avons mis en place une action masque avec l’URPS, pour en fournir aux orthophonistes de la région de façon à ce qu’elles puissent redémarrer en mai. Il y a eu un achat de masques assez important auprès de certaines pharmacies, payés par l’URPS. Puis, à force de mails et d’appels, on a obtenu une dotation de l’ARS et on a pu organiser un maillage sur toute la région, avec des points relais de masques sur toute la région Occitanie. Cela nous a pris pas mal de temps.
Au niveau de la pratique, à partir du mois de mai, on a mis en place les conditions sanitaires préconisées, comme laisser passer 15 minutes entre chaque patient, ce qui a diminué notre activité de moitié quasiment… On recevait le patient, il devait se laver les mains, porter le masque, on positionnait des panneaux en plexiglas pour limiter la diffusion éventuelle du virus, et après la consultation, on devait le raccompagner dehors (on avait fermé les salles d’attente) puis faire un temps de décontamination : aérer le bureau, nettoyer la chaise, le bureau… J’ai mis en place un système de stylo par patient : dans chaque dossier de patient, je glissais un bic tout neuf qui n’était donc utilisé que par le patient !
Aujourd’hui, on n’a toujours pas rouvert la salle d’attente, on fait attention pour ne pas être sur les mêmes horaires puisque nous sommes deux dans le cabinet, et qu’il n’y ait qu’une personne à la fois qui attende. Et on travaille toujours avec masque et plexiglass sur le bureau, et un temps de décontamination du cabinet. Effectivement, pour certaines prises en charge, notamment chez les tout petits qui ont des problèmes de retard de langage ou pour des patients qui ont des problèmes de surdité, travailler avec le masque c’est compliqué.
Avec la possibilité offerte, j’avais gardé une partie de l’activité en télé-soin pour pallier les 15 minutes de décontamination entre chaque patient. J’alternais un patient en vrai et un en télé-soin pour ne pas trop diminuer mon activité en mai 2020. Par la suite, tout cela a été laissé à l’appréciation des orthophonistes, même si le masque et la décontamination demeurent importants.
Avec les autres professionnels de santé, vous êtes-vous organisés pour accompagner les besoins sur le territoire ?
Au début, je n’étais pas encore présidente de l’URPS, c’est le bureau qui a géré tout ce qui était inter-pro. Au niveau de la CPTS dans laquelle je suis, il n’y a pas eu de mise en place d’initiative en particulier, on continuait à se réguler entre nous, à s’orienter des patients… Il y a eu des réunions inter-URPS au sujet des actions à mettre en place, mais on s’est rendu compte que ce n’était pas toujours simple de communiquer. Il y a des professions qui ont pris une place vraiment importante (infirmiers, kinés etc. qui ont le droit de faire des tests Covid notamment) par rapport aux orthophonistes.
Entre orthophonistes, on a eu pas mal d’actions et de recherches qui se sont menées sur l’impact qu’avait eu le port du masque sur l’apprentissage du langage chez les tout petits. Les associations de prévention ont fait des pétitions, des actions sur le port du masque inclusif (transparent pour qu’on voit les lèvres et la bouche).
Il y a eu aussi des actions de prévention et d’information dans les écoles maternelles et du personnel de petite enfance… Il y a beaucoup de recherches menées, mais on n’a pas encore suffisamment de recul et de résultats. Pour ma part je suis sûre que cela a un impact ! Certains parents me rapportaient que les bébés nés au moment du confinement n’ont vu que leurs parents pendant assez longtemps. Donc quand ils ont été mis en crèche, c’était plus compliqué. La séparation était plus difficile, avec plus de pleurs, etc. Cela aussi, les assistantes maternelles l’ont rapporté.
Au sein du syndicat ou des associations de prévention, on a échangé entre nous, il y a un maillage d’associations de prévention assez important sur l’Occitanie. Il y a eu pas mal d’échanges par mails entre les assos, sur les sujets repérés et pour réfléchir aux actions à mettre en place à différents niveaux. Il y a eu des échanges par rapport aux inquiétudes de nos patients, travailler à la façon de les conseiller, pour répondre aux parents sur les sujets des masques pour les enfants, etc.
L’impact sur le langage est certain, mais on n’a pas encore tous les résultats des études pour le chiffrer et voir ce qu’il en est. Les enfants apprennent quand même à parler en voyant comment bougent les lèvres, la bouche, la langue, quelles positions il y a, si on ouvre beaucoup ou pas. Dans les séances de rééducation avec des petits, c’est plus compliqué…
En tant que nouvelle présidente, avez-vous des projets sur l’organisation entre URPS ?
Oui, arriver à créer plus de lien, avoir plus de relations avec les autres professionnels, c’est enrichissant, ça permet de voir comment chacun fonctionne et de faire un maillage plus important quand provient ce type de crises notamment. On a tous été pris de court, donc ça peut être intéressant d’échanger pour voir comment se relayer en véritable réseau, sans que chacun parte mener une action de son côté alors que certains l’ont peut-être déjà mise en place ailleurs. Profiter aussi de ce qui a déjà été fait pour ne pas recommencer à zéro à chaque fois.
Et nous avons un projet, plus centré sur les orthophonistes, qu’on va présenter à l’ARS. C’est un projet de mise en place de plateforme pour essayer de pallier les difficultés d’accès au soin, notamment en orthophonie. C’est un réel problème. Il y a des listes d’attentes dans certains départements allant parfois jusqu’à 2 ou 3 ans avant d’avoir un rendez-vous de bilan. Pour savoir s’il y a besoin d’une prise en charge, il faut déjà attendre pour faire le bilan… Il y a une expérimentation menée au niveau national, dans 3 régions. Une association avec une plateforme s’est montée, qui s’appelle la PPSO. Il y a trois niveau d’accès : les patients contactent la plateforme, remplissent un pré-questionnaire (expliquent leurs demandes, leur difficultés) et demandent à être rappelés. Puis des orthophonistes qui acceptent de travailler sur des temps dédiés (des plages de trois heures, pour couvrir toute la semaine), rappellent les gens, ciblent la demande, et décident si la cas relève ou pas d’un bilan orthophonique. On a eu les chiffres : sur les trois régions expérimentatrices, il y a 20 % de demandes qui ne sont pas en lien avec l’orthophonie. On les aurait peut-être faits en cabinet, mais la plainte n’aurait pas été en lien. Ça permet d’écrémer, de faire un tri avant que les gens arrivent chez l’orthophoniste. Après, la plateforme permet de mettre en lien une orthophoniste et le patient dans un environnement géographique proche.
Vous parlez des orthophonistes au féminin ?
Oui, je n’ai pas fait attention, mais c’est vrai qu’il n’y a que 2% d’hommes dans la profession… Tous les orthophonistes hommes sont très impliqués dans les différentes instances, du syndicat, de l’URPS… Donc on les voit beaucoup, mais on a tendance à dire les orthophonistes, “elles”.
Et le deuxième projet qu’on va aller présenter à l’ARS permettra d’avoir une liste d’attente commune. Les gens téléphonent à 1, 2, 3 orthophonistes… Et là, des listes d’attentes communes se montent, mais sont payantes et chères. On aimerait développer, via la PPSO, des listes d’attentes communes, mises à disposition gratuitement. Il faut passer par l’ARS et par la création d’un CPOM pour mener ce projet à bien durant le mandat.
Il y a également des plateformes pour les patients TND (troubles neuro développementaux) qui s’implantent (notamment Occitadys, dans la région) – en lien avec les orthophonistes et l’URPS. C’est une façon de s’impliquer dans différents projets. Ce qui est un peu difficile à gérer, c’est qu’il y a de plus en plus de projets, de réunions d’inter-pro… pour arriver à être partout en ayant une activité à côté, c’est sportif !
Le nouveau bureau est composé d’un président, un vice-président, une secrétaire, une secrétaire adjointe, un trésorier, un trésorier adjoint) et nous avons une assemblée, constituée de 12 personnes, dont plusieurs chargés de missions qui vont permettre la coordination dans les territoires. La région Occitanie est très grande, on aimerait refaire un maillage avec un représentant dans chaque département pour refaire du lien entre les orthophonistes et entre les orthophonistes et les autres professions.
Qu’espérez-vous de votre mandat et de l’organisation en URPS ?
Arriver à mettre en place les projets évoqués ci-dessus, et réussir à avoir des relations plus étroites et facilitées avec les différentes instances. Et pouvoir faire de l’inter-pro, même si c’était déjà bien engagé avec l’ancienne présidente !
Dans ma CPTS nous sommes en train de mener des projets – c’est très très chouette – car souvent les orthophonistes ont du mal à être inclus dans les projets des CPTS, parce que souvent les projets sont très médicaux, (diabète etc) ou nous avons moins de possibilités d’agir.
Dans la CPTS Providence, il y a un groupe sur le parcours de soin des enfants TND, et un groupe sur la fragilité sur la personne âgée, et là nous avons vraiment un rôle à jouer ! On a beaucoup de réunions sur ces sujets-là, avec de l’interpro et on est en train de mettre en place des actions avec les psychomotriciens, les ergothérapeutes, les orthoptistes, les infirmières, les psychologues et les médecins. Exemples : quand l’enfant arrive chez le médecin, savoir vers où et comment on va l’orienter, etc.
En ce qui concerne la fragilité chez la personne âgées, arriver à avoir des signaux d’appels que chacun va repérer etc. Avec la crise Covid, les personnes ont beaucoup décliné. On voit arriver beaucoup de patients avec des demandes de bilan, parce qu’il y a un manque du mot, avec des troubles cognitifs apparus suite au confinement, chez des gens qui vivent en couple, à domicile, chez qui normalement il y a quand même des échanges… mais qui ont été moins sollicités, qui ont moins vu leur famille… On se rend compte qu’il y a quand même pas mal de conséquences.
Merci beaucoup !