Si les progrès réalisés dans la prise en charge des patients de réanimation atteints de Covid-19 permettent de les soigner « mieux » et « plus vite », les réanimations sont actuellement remplies de patients plus jeunes mais aux cas plus graves, parfois parce qu’ils arrivent plus tard en réanimation.
Le Pr Xavier Capdevila, responsable du service anesthésie-réanimation du CHU de Montpellier, et le Dr Pierre Kalfon, chef du service réanimation du CH de Chartres, ont apporté leur témoignage de terrain lors d’une conférence de presse en ligne organisée par la Fédération hospitalière de France (FHF) sur les conséquences des prises en charge Covid sur la santé publique.
En pleine 3e vague de l’épidémie, « la tension est très importante, perceptible au quotidien », a expliqué le Dr Kalfon. Dans son établissement, la capacité de lits a été augmentée (passant de 12 lits de réanimation et 6 lits de surveillance continue à 18 lits de réanimation et 6 de surveillance continue). Et la gestion des hospitalisations est la plus fine possible : « un patient de réanimation qui n’a plus besoin de ventilation passe en soins continus. Si son état s’aggrave, il va en réanimation, et inversement ».
Par rapport à la première vague, l’épuisement des équipes, la durée de l’épidémie, le fait qu’il y ait davantage de patients non Covid à prendre en charge, la difficulté à disposer de renforts rendent certaines choses « plus difficiles ». Mais il y a aussi des éléments plus faciles : les traitements sont plus codifiés, l’oxygénothérapie mieux utilisée, l’intérêt des corticoïdes démontré…. « Cela a contribué à mieux soigner et surtout à permettre d’avoir des séjours en soins critiques plus courts. Au total, je pense que nous soignons actuellement beaucoup plus de patients que l’année passée » a déclaré le Dr Kalfon. « Comme nous les soignons mieux et un peu plus vite, on parvient pour l’instant, à part dans certains endroits, à apporter une réponse. (…) Mais je suis personnellement très inquiet (…) si de nouvelles mesures ne sont pas prises » , a-t-il confié.
La question du « tri » malgré l’augmentation des lits
Malgré l’augmentation des lits, cette position de saturation, malgré est réelle. Elle fait ressortir la question du « tri » (admettre ou non un patient en réanimation, en fonction du bénéfice potentiel qu’il peut en tirer en termes de récupération d’une situation sociale acceptable) pour le Pr Capdevila. « Il faut traiter des patients Covid en réanimation, mais également les non-Covid. On en a encore beaucoup » : « Il y a du choc septique, des polytraumatismes, des tentatives de suicide aussi… »
La question du « tri » est davantage une réflexion à ce jour. « On n’en est pas encore là, c’est quelque chose qu’on n’a pas fait en France », contrairement à l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni où la saturation n’a pas pu être évitée lors des précédentes vagues. « Mais là, en Ile-de-France en tout cas, on arrive dans cet état d’esprit : une réflexion sur les critères de non-admission va être remise sur la table de façon un peu plus importante que ça ne l’est actuellement. » Est-ce le variant ? »Il y a une probabilité dans ce sens ».
Beaucoup de prises en charge invasives nécessaires malgré les progrès
« malgré beaucoup de progrès dans la prise en charge non invasive, il y a beaucoup d’intubation, de ventilation, de dialyse, de décubitus ventral, voire de circulation extracorporelle », chez les patients Covid actuellement en réanimation, « et ils sont beaucoup plus jeunes qu’à la 1re et la 2e vague. C’est très clair dans nos réanimations. »
Au CHU de Montpellier, « on a perdu 10 à 15 ans d’âge moyen par rapport à la 1re vague ».
La vaccination des plus âgés est l’une des explications à cette baisse de l’âge des patients en réanimation, selon le Pr Capdevila. Il a évoqué également « peut-être des conduites à risque un tout petit peu plus importantes pour les personnes les moins âgées […], et le variant anglais qui est plus contagieux et peut-être un peu plus méchant, notamment avec des patients qui ont moins de comorbidités que ceux admis à la 1re phase ». Ce rajeunissement des patients permet néanmoins une rotation plus importante et moins d’embolisation des lits.
Interrogé par APMnews sur l’évolution de la mortalité, il a indiqué qu’elle avait baissé par rapport à la 1re vague, parce qu’au début de l’épidémie les patients étaient systématiquement intubés, et ils étaient âgés. La mortalité était « clairement moindre » lors de la 2e vague. Mais actuellement, elle « se maintient, elle n’a pas encore diminué, elle n’a pas explosé non plus malgré le variant anglais ».
Attention aux prises en charge à domicile trop longues avant hospitalisation
Il a toutefois alerté sur un phénomène, qui explique aussi que malgré des malades plus jeunes admis en réanimation, beaucoup sont dans un état plus grave : ces patients jeunes ne veulent pas aller à l’hôpital. « Ils ont peur de ce qui les attend ». Ils font alors un lien avec le médecin traitant, « mais ils n’auront pas forcément l’ensemble des traitements ».
Ainsi, « un patient jeune va rester au maximum à domicile (…) et il peut arriver à l’hôpital dans un état extrêmement précaire, alors qu’il peut être intéressant d’être hospitalisé et de recevoir les traitements, le séjour sera alors peut-être plus court. »
Source : APMnews